Mon cher frère, ma chère soeur, je vous hais

De grands tableaux de la Slovaquie natale ornaient les murs de la chambre. Chambre décorée avec goûts, où les rares rayons de soleil filtraient à travers les fins rideaux. Assise sur son lit, Tanya regarda le paysage, à travers la fenêtre, d'un air morne et abattu. elle maudissait depuis des heures sa condition, sa nature qui l'empêchait de déverser les larmes libératrices ! Ses yeux la brûlaient, mais aucune larme ne daigner passer la barrière de ses paupières. Rien, absolument rien, elle ne pouvait même pas laisser couler sa tristesse hors d'elle. Cette tristesse qui la consumait littéralement, qui la détruisait, qui la dévorait. Elle voulait pleurer. Elle voulait arracher tout cela d'elle. Faire comme les humains, traduire sa peine dans un océan de larmes, évacuer sa douleur.

Elle s'allongea de tout son long sur le lit, les deux mains sur le visage, secouée de tremblements violents. Elle avait appris la nouvelle il y a peu grâce à Alice. Sa fille, sa petite fille, sa Marie... Alice l'avait vu attaquer Aro et se faire tuer. Elle était morte. Morte... Disparue, décédée en Italie, et à jamais. Tanya serra ses mains sur sa poitrine, regardant le plafond, le visage tordu dans une expression de douleur. Pourquoi Marie-Emmanuelle était-elle partie là-bas ? Lors de son appel, Tanya n'avait pas compris où elle se trouvait, ce qui allait lui arriver. Puis elle avait su. Sa fille était décédée. Les Volturi avaient pris la vie de sa fille comme ils avaient pris celle de sa mère. Mais Sasha avait commit un crime. Ce n'était pas le cas d'Emma. Une telle enfant ne pouvait commettre aucun crime...

Elle se leva lentement et descendit, rejoignant le reste de sa famille. Elle jeta un regard furieux à Eléazar et Carmen. Elle les tenait pour entièrement responsables de ce qui s'était produit ! C'était peut-être idiot ou ce que l'on voulait, peu importe. Elle n'était plus en état, n'avait plus envie d'y réfléchir. Elle attrapa sa veste et sortit en claquant la porte, marchant vers la forêt. Elle ignorait où elle allait, ce qu'elle allait faire. Elle voulait juste être seule.

Carmen rajouta une bûche dans le feu, silencieuse, assise près d'Eléazar. Ils étaient rentrés à Denali depuis deux jours. et l'ambiance était terriblement lourde, c'était le moins qu'on puisse dire. La mort de Marie-Emmanuelle avait plongé Tanya dans une profonde dépression, la rendait agressive et très sur les nerfs. Elle restait enfermée dans sa chambre, sans bouger ni parler. Elle renvoyait balader tous ceux qui l'approchaient, s'enfermant dans un mutisme inquiétant, ressassant sa douleur. Carmen s'inquiétait pour elle et avait déjà tenté d'aller la réconforter. Tentative brusquement avortée par le regard noir, furieux et blessé que lui avait jeté Tanya. L'Espagnole n'avait pas insisté et était retournée près de son mari.

Pour être honnête, Carmen s'en voulait beaucoup pour Marie-Emmanuelle, consciente qu'il s'agissait de leur faute, à elle et Eléazar. Mais elle ne pouvait s'empêcher également de lui en vouloir un peu. Pourquoi être partie ainsi à Volterra ?! Pourquoi avoir quitté la sécurité et l'amour que lui offrait Tanya ? Pourquoi ? Elle avait gâchée seule sa toute jeune vie, alors qu'elle aurait pu être heureuse, qu'elle aurait pu vivre des siècles. Peut-être il y avait-il des personnes qui ne pouvaient pas être heureuses, tout simplement. Des personnes qui ne pouvaient vivre en paix. Des personnes sans cesse harcelées par leur passé, submergées par leurs émotions. Emma étaient de ceux-là.

Elle n'avait passé, avec son mari, que deux ou trois semaines à Volterra. Deux ou trois semaines où elle avait véritablement découvert le mode de vie des Volturi. Eléazar ne lui en avait jamais vraiment parlé, ni à elle, ni aux soeurs, ni aux Cullen, tout comme Carlisle d'ailleurs. Il avait jeté un voile pudique sur cette période de sa vie, en grande partie pour ne pas blesser les soeurs en parlant du clan qui avait pris leur mère.

Le temps passé en Italie avait dévoilé à Carmen un clan très conséquent et très structuré. Des gardes entièrement dévoués à Aro; chacun à sa place avec un travail précis. Aro veillait à ce que chacun des gardes soient un minimum entraîné. La plupart misaient sur cette force physique, d'autres sur leur don. Aro était le chef du clan et chapeautait le tout. Il veillait aux affaires courantes et prenait les décisions les plus importantes. Caïus gérait plus les gardes en eux-même et la plupart des petites missions, qui ne nécessitaient pas de prise de décision commune. Marcus... dormait. Ou plutôt, s'employant plus à calmer les ardeurs de ses frères qu'à gérer le clan. Du côté des gardes, il y avait ceux qui veillaient à la protection des trois frères et des épouses, ceux qui partaient en mission, qui surveillaient la ville... Bref, un clan bien plus organisé qu'elle ne l'aurait cru.

Un bruit dans l'escalier la tira de ses pensées. Tanya était descendue et leur jeta un regard noir au passage. elle attrapa sa veste et sortit brusquement, claquant la porte. Carmen échangea un bref regard avec son mari et se leva à son tour. Elle ne prit même pas la peine de se couvrir, se moquant totalement à cet instant de paraître normale au cas où elle croiserait des humains, et suivit les traces de Tanya. Elle vit son aînée à l'orée de la forêt.

- Tanya ! appela-t-elle.

Elle courut pour la rejoindre, sans se soucier de l'air fermé et mauvais que la chef des Denali arborait. Carmen se planta devant elle, en chemisier décolleté malgré le fait qu'il fasse moins quinze degrés. Au diable la discrétion, d'autant plus plus qu'il n'y avait pas d'humains aux alentours.

- Tanya, écoute, je peux comprendre ce que tu ressens mais il faut que tu acceptes notre aide. tu ne peux pas rester seule, nous sommes tous là, nous sommes ta famille.

De l'air, c'était tout ce qu'il lui fallait pour le moment. De l'air, et de la solitude ! Un moment rien qu'à elle loin de ses soeurs, seule en pleine nature, pour réfléchir. Repenser à sa fille. Essayer d'en faire le deuil.... Elle eut un rire nerveux et désespérée. Et dire qu'elle avait toujours refusée de "construire" une famille plus grande à la façon de Carlisle en ne se contentant que des ses soeurs. Elle regarda le ciel un bref instant, désemparée. Tout à coup, on cria son nom. Elle se retourna très brièvement puis soupira. Carmen. La dernière personne qu'elle avait envie de voir, surtout en ce moment !

Sa "soeur" la rattrapa, se mettant à sa hauteur. Toujours avec son petit innocent quasiment insupportable depuis deux jours. Tanya lui lança un regard mauvais et las, perdue dans ses pensées. Elle ne voulait pas lui parler. Elle ne voulait plus rien venant de Carmen ou de son mari. Elle ne voulait rien entendre d'eux, rien savoir, rien avoir à faire. Elle était fatiguée. Littéralement épuisée. Physiquement, elle était capable de démolir une tonne de rochers. Mentalement, elle était à plat, détruite.

Carmen - Tanya, écoute, je peux comprendre ce que tu ressens mais il faut que tu acceptes notre aide. Tu ne peux pas rester seule, nous sommes tous là, nous sommes ta famille.

Elle eut un ricanement sauvage et violent. Un rire de dingue, un rire où commençait à percer la folie. Folle, oui, voilà ce qu'elle devenait. complètement folle, détruire par le chagrin et les regrets. Détruite par les remords qui la rongeaient de l'intérieur. Elle se plia en deux, riant à gorge déployée, secouée de tremblements. Elle ne se rendait même pas compte du spectacle pitoyable qu'elle offrait. Elle ne se rendait plus compte de rien.

Tanya : - Votre aide ?! cria-t-elle en continuant de rire telle une hystérique. Votre aide ! Tu oses proposer cela alors que c'est cause de toi et Eléazar que Marie est morte ! Et tu oses parler d'aide ?! Mais va donc te faire voir, ma très chère petite soeur ! Elle est morte, tu comprends ?! Disparue à jamais ! Comment est-ce que j'ai pu me prétendre sa mère alors que je n'ai jamais été capable de la rendre heureuse. Pas une seule fois en ces quelques mois ! Comme je n'ai pas été capables d'aider mes soeurs à faire le deuil de Sasha ! Tu parles d'une soeur... Je ne vaut rien de ce côté. Et Marie est morte...

Elle repoussa brutalement Carmen et partit en courant. Elle courut, courut, courut, jusqu'à atteindre l'océan. Elle plongea de la falaise dans l'eau glaciale, filant jusqu'au fond avant de remonter d'un coup de pied puis de se mettre à nager. elle savait exactement où elle allait. Elle savait aussi que cela impliquerait sa mort. Et s'en fichait. elle n'en pouvait plus.